"Je ne retournerai jamais à Venise. Les lieux que j'aimais commencent à s'embrumer dans ma mémoire. Ils perdent leurs contours, comme fait San Giorgio Maggiore au mois d'octobre dans la lumière du soir. Se pourrait-il que la Venise de mes souvenirs ait depuis longtemps cessé d'être tout à fait vraie ? Ses palais et ses campaniles ressemblent déjà sans doute à ceux que peingnait Turner : comme lui je les invente, je les reconstruis avec une matière plus fluide et plus vaporeuse, je les colore sans le vouloir, pour les faire un peu pous ressembler au bonheur que j'éprouvais à les contempler. Peut-être d'ailleurs est-ce de moins en moins d'eux que je me souviens, et de plus en plus de ce bonheur. Mais Judith ?" Lorsqu'il découvre le cahier secret à la mort de son oncle, Pierre n'en croit pas ses yeux. Qui est Judith ? Comment imaginer son austère vieil oncle Charles, éminent spécialiste du Quattrocento, en présence d'une femme ? Si les femmes n'étaient certes pas absentes de sa pensée, s'il les aimait, s'il parlait d'elles, il s'agissait toujours de femmes peintes. Et puis l'oncle Charles ne disait jamais "je", pas plus qu'il ne s'intéressait à Turner. Pour Pierre, le mystère reste entier. Les années passent, il rencontre Judith à Rome et reçoit ses confidences…

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